Par George Van Grieken
INTRODUCTION AUX TÉMOIGNAGES DE LA PRÉSENCE DE DIEU
La sainte présence de Dieu dans la spiritualité de De La Salle
Saint Jean-Baptiste de La Salle entretenait un intérêt indéfectible à encourager la conscience de la présence de Dieu tant en soi-même, dans les Frères, qu’auprès des élèves à l’école. C’est un thème constant et récurrent dans beaucoup de ses écrits et un profond courant dans sa vie spirituelle. Son désir intime était d’assurer l’approfondissement de la spiritualité de ses compagnons et des jeunes qui fréquentaient ses écoles de sorte qu’ils puissent se rendre compte de la présence intime de Dieu dans leur vie, présence de celui qui « mène toutes choses avec sagesse et sérénité… d’une manière imperceptible et pour une longue période de temps » (Blain – Vie, tome 1 60-61). Cette présence de Dieu engageante était un élément majeur de l’ADN de la vie spirituelle de De La Salle. Aujourd’hui, tout comme au temps du Fondateur, le rappel de cette présence est centrale à la prière et au ministère lasallien parce que la conscience de cette présence dans le cœur et l’esprit alimente notre travail et renforce notre ministère. Elle oriente notre discernement personnel et communautaire et maintient notre croissance dans l’amour de Dieu et des autres. Elle inclut les chapitres de notre récit de vie. En conséquence, examiner certains exemples concrets de l’ampleur et de la profondeur de la portée de cette phrase consacrée sera sûrement bénéfique.
Dans la Règle des Frères des Écoles chrétiennes de 1718, De La Salle considère la présence de Dieu comme un des quatre « soutiens intérieurs » de l’Institut, la considérant comme tout aussi « essentielle » que les trois autres. Dans le Recueil de petits traités, elle fait partie d’une liste de « Dix commandements » de l’Institut, présentés en vers français pour en faciliter la mémoire : « A Dieu présent vous penserez souvent intérieurement. » Dans cette même collection qui était en somme la compilation abrégée d’un ensemble de dictons, dévotions, pratiques et d’autres de ses écrits, l’importance de se souvenir de « la présence de Dieu » se manifeste dans beaucoup d’autres contextes.
- Liste des sujets pour l’examen personnel : « Si on fait attention à la sainte présence de Dieu : si elle est fréquente, ou même continuelle »[1]
- L’Esprit de cet Institut : « Ils feront le plus qu’ils pourront attention à la sainte présence de Dieu, et auront soin de se la renouveler de temps en temps. »[2]
- Explication de l’Esprit de notre Institut : « Qu’est-ce qu’avoir attention à Dieu en faisant quelque chose? C’est penser actuellement à la présence de Dieu. »[3]
- Moyens pour devenir intérieurs : « Si on garde exactement le silence, et la récollection dedans et dehors la maison; si on fait attention à la sainte présence de Dieu ; si elle est fréquente, ou même continuelle ; si on veille sur soi ; si on rentre souvent en soi-même et si on fait en sorte de ne faire aucune action sans attention, sur soi et à Dieu, et sans vue de Dieu. »[4]
- Le bréviaire: « Récitez-le avec toute l’attention possible et avec un très grand respect intérieur et extérieur. Appliquez-vous-y autant que vous pourrez, ou au sens des paroles, ou aux mystères qui y sont contenus, ou simplement à la présence de Dieu. »[5]
- La sainte messe: « Renouvelez-y souvent la pensée de la présence de Dieu, et du respect que les anges ont devant sa divine majesté. »[6]
- La lecture spirituelle: « Ne commencez point de lecture sans vous être mis en la présence de Dieu, demandez-lui par quelque courte prière les grâces et les lumières pour pouvoir comprendre et pratiquer ce que vous allez lire. »[7]
- La récréation: « Ne vous y portez pas avec trop d’ardeur et d’épanchement, prenez garde à ne vous y pas dissiper et à n’y pas perdre la présence de Dieu. »[8]
Bien que de façon moins formelle, De La Salle incluait fréquemment dans ses lettres l’attention à la présence de Dieu. Ces exemples démontrent l’intense rapprochement entre la foi et le zèle qui constituaient la substance de l’esprit de l’Institut. C’est dans et par l’attention à la présence de Dieu – dans la chapelle et l’école – que le charisme de De La Salle prend vie.
- « La présence de Dieu vous sera d’une grande utilité pour vous aider et vous animer à bien faire vos actions. »[9]
- « C’est une pratique d’une grande utilité de s’appliquer à la présence de Dieu, soyez-y fidèle. »[10]
- « Rentrez souvent en vous-même pour renouveler et fortifier en vous le souvenir de la présence de Dieu. Plus tâcherez-vous de l’avoir et plus aurez-vous de facilité à bien faire vos actions et bien remplir vos devoirs. »[11]
- « Appliquez-vous beaucoup à la présence de Dieu, mon très cher Frère. Regardez-en la pratique comme votre souverain bonheur. »[12]
- « Faites aussi en sorte que la sainte présence de Dieu vous soit fréquente, car elle est le principal fruit de l’oraison. »[13]
Être attentifs à la présence de Dieu était également une invitation omniprésente pour les élèves. La publication classique La Conduite des écoles intègre dans le quotidien de la vie scolaire le souvenir de la présence de Dieu notamment dès l’entrée en classe et comme des rappels occasionnels durant le jour.
- « On leur inspirera d’entrer dans leurs classes avec un profond respect dans la vue de la présence de Dieu. Étant au milieu, ils feront une profonde inclination au crucifix **, salueront le maître, s’il y est. »[14]
- « Ceux qui lisent dans la seconde carte apprendront et répéteront les actes de présence de Dieu »[15]
- « À chaque heure du jour, on fera quelques courtes prières qui serviront au maître pour renouveler leur attention sur eux-mêmes et à la présence de Dieu, et aux écoliers pour les habituer à penser à Dieu de temps en temps pendant le jour, et les disposer à lui offrir toutes leurs actions, pour attirer sur elles sa bénédiction. »[16]
L’heure de la prière dans l’école ainsi que les autres prières prescrites dans les Exercices de piété pour l’école chrétienne commence par le signe de la croix, immédiatement suivi par Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu. Cette invitation typiquement lasallienne est aussi omniprésente dans ces prières que le signe de la croix et immanquablement incluse.
Même dans son livre sur la politesse Les Règles de la Bienséance et de la Civilité Chrétienne, écrit pour les jeunes citadins qui avaient peu de notions sur comment se conduire poliment dans la société, le motif pour une conduite appropriée est directement relié à la présence de Dieu. De La Salle écrit :
- « C’est une chose surprenante que la plupart des chrétiens ne regardent la bienséance et la civilité que comme une qualité purement humaine et mondaine et que, ne pensant pas à élever leur esprit plus haut, ils ne la considèrent pas comme une vertu qui a rapport à Dieu, au prochain et à nous-mêmes. »[17]
- « Lorsqu’ils (parents et les maîtres) auront soin de les y engager par le motif de la présence de Dieu (..) que leur modestie devait paraître à tous les hommes parce que le Seigneur était proche d’eux, c’est-à-dire par respect pour la présence de Dieu devant qui ils étaient. »[18]
La méthode d’oraison
C’est dans L’Explication de la Méthode d’oraison que les différentes dimensions de sa spiritualité sont réunies de manière à ce que les deux montrent les grandes lignes de sa spiritualité et illustrent la difficulté de les présenter tout à fait clairement. Le cadre perceptible pour une vraie prière intérieure – la relation avec Dieu (Père, Fils et Saint Esprit) qui constitue son désir le plus cher et le plus profond – défie toute présentation facile. Certains ont trouvé sa méthode d’oraison trop détaillée et pénible – avec son style austère, ses mouvements dynamiques, 21 actes et des états d’âme plus facilement présentables au 17e siècle qu’au 21e. D’autres ont trouvé la direction initiale et le dynamisme intérieur de ses directives ainsi que les diamants merveilleux des réflexions qu’on trouve tout au long du chemin attrayantes, révélatrices et pleines de perspicacité. Considérant l’œuvre, il importe de se rappeler que ce qui compte pour De La Salle, ce ne sont pas les actes mais plutôt la disposition progressive qui permet à chacun de se remplir de Dieu par une unité intérieure produite par l’action de l’Esprit Saint. (Introduction, p.5)
L’Explication de la Méthode d’oraison est un livre pour débutants dans la pratique de l’oraison compilée après la mort de De La Salle et basée sur ses entretiens, ses conférences, ses notes et d’autres ressources spécialement et incluant les Frères qui l’avaient bien connu. Lors de sa retraite à St-Yon, Rouen, vers la fin de sa vie, De La Salle consacra beaucoup de son temps à guider les jeunes Frères dans la pratique de l’oraison en les instruisant, les corrigeant et les entraînant dans ce qu’il considérait être une des dimensions les plus importantes de leur vocation. Il était le seul capable d’accomplir cela à l’époque. Relativement à son esprit et à son contenu fondamental, l’Explication de la Méthode d’oraison est le dernier livre qu’il a écrit. Il reflète le fruit de son expérience intérieure personnelle de l’oraison, sa spiritualité basée sur les Écritures, sa compétence théologique, ses années de réflexion et de décisions pratiques dans la fondation de l’Institut et tous les événements de sa vie qui l’avaient conduit jusqu’alors. La publication du volume n’eut lieu qu’en 1739, soit 20 ans après sa mort.
Lorsqu’on lit l’Explication de la Méthode d’oraison, la nature complexe quoique simple de l’oraison émerge comme si on faisait un zoom arrière de la terre sur Google à partir d’une maison jusqu’à la vision de la terre à partir de l’espace; les détails deviennent alors parties de quelque chose beaucoup, beaucoup plus vaste et plus universel. Les éléments de cette forme de prière – explications, réflexions, étapes à suivre, avis contre le scrupule, invitations et exemples pour personnaliser son propre acte de foi – sont autant de pièces de quelque chose qui est plus grand que le tout de ses pièces. Les notions sur la prière, la foi et la présence de Dieu évoluent entre elles comme les carrés d’un cube Rubik. Et, en même temps, la substance du livre apparaît comme une œuvre d’art ou plutôt un artiste qui décrirait une œuvre d’art où ce qui est lentement tissé verbalement, émerge en une perception de pratiques personnelles suggérées par le moyen d’une accumulation de couches et de nuances engendrant des connections d’association et de parenté.
Ce qui est toutefois très évident, c’est que l’oraison est plus clairement définie dans le cadre d’un usage régulier et constant. Elle requiert du temps. La danseuse Martha Graham disait un jour qu’il fallait 10 ans de labeur constant pour devenir une bonne danseuse. « Ça m’a pris des années pour devenir simple et spontanée. Il a fallu des milliers de sauts avant celui qu’on se remémore ». De la même façon, toute recherche d’une véritable oraison ne vient pas comme tout emballée simplement à cause de l’intention. Elle doit être voulue et pratiquée longtemps. La danse de la prière est basée sur le « dur labeur ». Elle prend forme et grandit avec la vitesse délibérée et patiente de la vie elle-même.
Frère Donald Mouton, F.É.C., dans son excellente introduction de l’Explication de la Méthode d’oraison (dans sa version anglaise) écrit que, dans l’esprit de De La Salle, la vraie prière intérieure échappe à toutes les méthodes. Le but ultime de la méthode est la dispense de la méthode. Voilà la dernière recommandation du Fondateur. Dans la prière, nous devons nous permettre d’être attirés intérieurement et doucement par Dieu, même si nous n’étions pas dans ces dispositions auparavant. Le but de la méthode de De La Salle est la formation d’une profonde intériorité de l’âme afin de permettre au Saint Esprit de prier en elle.
Il est indispensable d’examiner la structure de la méthode afin d’améliorer notre compréhension de la profonde intériorité qu’elle suscite et de progresser vers son atteinte.
La méthode d’oraison de De La Salle consiste en trois mouvements ou étapes :
- Rappel de la présence de Dieu qui nous éloigne des préoccupations externes et nous conduit au plus « profond de notre cœur » où nous rencontrons le Dieu présent au cœur de nos vies et où nous entrons dans le climat intérieur de la prière.
- Un mystère, une vertu ou un enseignement qui nous introduit à l’activité principale de la méditation qui est de remplir notre âme de Dieu en et par Jésus pour contempler la personne de Jésus en nous centrant sur un de ses mystères, une de ses vertus ou un de ses enseignements que nous pouvons appliquer à notre vie.
- Résolutions : en retournant à nos responsabilités renouvelées, revitalisées et remplies de résolutions pratiques et efficaces, participant ainsi à l’Esprit de Jésus, et incarnant effectivement ses sentiments et dispositions.
Le chrétien, en laissant agir ainsi le Christ en lui, est stimulé par la charité participante de la Trinité ; cet aspect sera développé par la suite l’école de pensée de la spiritualité bérulienne[19].
Dans une de ses lettres, De La Salle écrit : « Il me semble que ce que j’ai à demander à Dieu dans l’oraison est qu’il me fasse connaître ce qu’il veut que je fasse et qu’il me mette dans la disposition dans laquelle il me veut. »[20] Alors qu’on est à peu près tous au courant de sa foi en la Providence, pour De La Salle, lire les événements de sa vie comme des appels de Dieu, les « pensées, les désirs » de Jésus-Christ sont l’autre élément-clé parce qu’ils sont l’agent de transformation en lien avec la spiritualité bérulienne du temps. Cette combinaison de confiance dans les conseils de Dieu à travers les circonstances et les événements de même que l’intégration des sentiments et des dispositions de Jésus, est toujours une façon captivante d’engager sa foi aujourd’hui. La méthode de prière intérieure de De la Salle fournit les étapes pour favoriser un tel engagement, dans le but d’entrer dans ces sentiments et dispositions de Jésus Christ, étant pleinement présent dans la présence de Dieu, devenant imprégné avec l’Esprit Saint, et simplement vivant attentivement avec un Dieu présent.
Après avoir décrit une récollection, moment de foi intérieure plus vaste, plus profonde, De La Salle souligne trois moyens principaux de devenir conscients de la présence de Dieu : dans l’endroit où l’on est, en nous-même et dans l’église. Comme expliquées dans cette introduction, « ces moyens ne créent pas cette présence mais nous rendent capables de reconnaître une présence qui nous précède, une présence qui est déjà là »[21] laquelle rappelle Jésus après la résurrection : « Il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez. » (Mc 16, 7) Dieu prend toujours les devants, étant déjà là avant notre arrivée.
Pour chacun des trois moyens d’être conscient de la présence de Dieu que De La Salle met en évidence, il fournit deux moyens spécifiques expliqués chacun par des textes qui sont en relation directe avec l’Écriture ainsi que des exemples de prières d’exhortations qui guident la personne dans sa démarche. Ces six moyens spécifiques sont comme la réponse que l’épouse de Golde Tevye dans Un violon sur le Toit lui fait lors de sa demande « M’aimes-tu? » en lui énumérant les nombreuses choses qu’elle a faites pour et avec lui au cours de leurs 25 ans de mariage et terminant par ces mots : « Si ce n’est pas l’amour, qu’est-ce qui l’est? » C’est ainsi que De La Salle indique en détail comment et où découvrir l’amour, la présence de Dieu en se basant sur les Écritures et sur sa longue expérience de vie. Il peut, de la même façon, dire : « Si ce n’est pas cela la présence, qu’est-ce qui l’est? »
Dieu est présent dans l’endroit où nous sommes. On peut le trouver de deux façons.
- Dieu est partout (ps 139, 7-10, etc).
- Notre Seigneur est présent au milieu de ceux qui sont réunis en son nom (Mt 180-20).
Dieu est présent en nous. On peut le voir de deux façons.
- Dieu nous maintient dans l’existence (Ac 17, 28, etc.).
- Dieu est présent par sa grâce et par l’Esprit Saint (Lc 17, 21, etc.).
Dieu est présent dans l’église. On peut le voir de deux façons.
- Une église est la maison de Dieu (Mt 21-12-13, etc.)
- Notre Seigneur est dans le Très Saint Sacrement (L’Eucharistie) (Rev 21, 3, etc.).
Pour De La Salle, pratiquer la conscience de la présence de Dieu est le moyen et le but de l’oraison. La simple attention est en même temps l’entrée et l’arrivée finale dans cette présence.
- « La première chose qu’on doit faire dans l’oraison est de se pénétrer intérieurement de la présence de Dieu par un sentiment de foi. » [22]
- « C’est ainsi que, par une attention à quelque passage de foi, jointe à quelque réflexion, on pourra acquérir insensiblement de la facilité à s’appliquer à la présence de Dieu par une simple attention. »[23]
- « L’application à la présence de Dieu par une simple attention consiste à être devant Dieu dans une simple vue intérieure de foi qu’il est présent et à demeurer ainsi quelque temps.»[24]
- « Et cette simple attention procure à cette âme une consolation intérieure qui est cause qu’elle se plaît et trouve du goût dans cette pensée, sans qu’elle soit obligée, pour y arrêter son esprit, d’y mêler aucune autre pensée ou réflexion. »[25]
- « Ces trois différentes manières de s’appliquer à l’oraison sur un mystère, ainsi qu’à la sainte présence de Dieu, peuvent être rapportées aux trois états de la vie spirituelle : les entretiens par discours et raisonnements multipliés, à celui des commençants ; les réflexions rares et longtemps continuées, à celui des profitants ; et la simple attention, à celui des avancés. »[26]
Cette prière de simple attention apparaît comme la forme normale qu’il attendait. C’est une présence et une disposition devant Dieu avec foi que Dieu est présent. Ce but n’est atteint ni automatiquement, ni rapidement – deux aspects qui militent contre son adoption rapide dans notre monde d’aujourd’hui où la vitesse et la facilité tiennent le sommet de la motivation. Il y a longtemps, Sœur Margaret Gorman, RSCJ, enseignait la psychologie du développement religieux de la jeunesse. Elle nous fit un de ses commentaires les plus significatifs à la fin d’un cours où nous envisagions une grande variété de cadres de développement avec leurs différentes « étapes ». Elle a dit : « Votre simple connaissance des étapes ne signifie pas que vous les connaissez comme si vous les aviez traversées. » De La Salle serait entièrement d’accord.
Il serait juste de dire que les étapes dans la méthode d’oraison de De La Salle ne sont pas entièrement rigoureuses. Elles ne sont pas comme des marches dans une échelle où l’une suit invariablement l’autre. Ce sont plutôt des jalons sur la route vers la présence de Dieu, tout comme les flèches jaunes qu’on voit imprimées, sculptées, peintes au fusil, dispersées le long des différents chemins des pèlerins sur les routes d’Espagne pointant et conduisant toutes vers Santiago de Compostela et son sanctuaire à saint Jacques. L’oraison est davantage comme un pèlerinage, quelque chose où le voyage et le but sont intrinsèquement tissés ensemble. Le lien profond entre la présence universelle de Dieu et la poursuite de la présence de Dieu est bien présentée dans l’introduction de l’Explication de la méthode d’oraison : « La place que De La Salle donne à la présence de Dieu dans son Explication de la méthode d’oraison est en soi une caractéristique distinctive de sa méthode de prière intérieure. En fait, le but de la méthode de la prière intérieure aux yeux de De La Salle est de nous aider à vivre chaque moment de la vie en présence de Dieu. »[27] Le rappel intentionnel fréquent de la présence de Dieu constitue une partie de cet entraînement de base afin de développer une plus grande capacité de vivre en présence de Dieu.
Ultimement, pratiquer la méditation et cultiver une conscience toujours profonde de la présence de Dieu sont deux dimensions de la vie de foi qui constituent le cœur de la spiritualité de De La Salle. Il voulait que ses disciples soient totalement remplis de l’esprit de foi. Ses méditations, exhortations, lettres et autres écrits tout comme le témoignage de son périple de vie mettent en évidence cet unique but. Dans la Règle des Frères, écrite en 1718, une section a été retenue dans les éditions ultérieures de la Règle, parce qu’elle décrit cet élément central de l’histoire de l’éducation lasallienne : « Ce qui est de la plus grande importance »[28]. On ne voit, en effet, aucune différence entre l’esprit de foi et l’esprit de méditation. Ce sont des attitudes identiques devant Dieu vues selon deux perspectives différentes. Dans le contexte de la méditation, l’esprit de foi est l’attention à Dieu en action.
L’expérience de la présence de Dieu
Pour saint Jean-Baptiste de La Salle, la méditation est une culture habituelle et intentionnelle de l’attention à la présence de Dieu. Elle « consiste à être devant Dieu dans une simple vue intérieure de foi qu’il est présent. »[29] Une telle vue intérieure de foi, entretenue par des engagements intentionnels réfléchis sur les vertus, les enseignements et les mystères de Jésus, « porte l’esprit et le cœur à une disposition d’adoration silencieuse, d’amour, d’admiration, de reconnaissance et d’action de grâces, d’anéantissement et d’un désir de cœur de s’unir à Notre Seigneur. »[30] Il est très improbable que De La Salle ait décrit ainsi la méditation sans en avoir fait l’expérience lui-même, ou bien qu’il l’aurait recommandée à ses Frères à moins de croire que c’était une forme de prière vers laquelle ils se sentiraient attirés même ou surtout quand leur tâche quotidienne était si exigeante.
En conséquence, c’est d’autant plus intéressant qu’un élément directement similaire ait été introduit dans la vie de prière de l’école, plus particulièrement les invitations, aux heures, à rappeler la présence de Dieu, ce qui faisait partie de l’horaire quotidien de l’école. Comme le disait si bien Frère Gérard Rummery, FSC, De La Salle en vint à constater « que ce rappel de la présence de Dieu était le ciment qui lierait le professeur et l’étudiant encore et encore dans leur relation commune avec Dieu »[31]. En réalité, ce partage de la présence de Dieu avec nos étudiants est un trésor caché de notre héritage lasallien. « Il n’est pas trop fort de dire que tous les éducateurs lasalliens rendent Dieu présent à ceux confiés à leurs soins. En même temps, les personnes présentes rappellent aux éducateurs qu’ils sont en effet en présence de Dieu. »[32]
C’est cet héritage vivant d’être attentif à la présence de Dieu tant dans la prière que dans le ministère qui a conduit les Frères, les éducateurs lasalliens, les anciens élèves et beaucoup d’autres à apprécier et à reconnaître la présence de Dieu dans des moments de leur propre vie. Ces histoires valent d’être racontées et écoutées, parce qu’elles témoignent de la présence du charisme lasallien aujourd’hui.
George Van Grieken, FSC[33]
[1] R 8,2, 10
[2] R 11, 1, 5
[3] R 11,2,12
[4] R 8,2,10
[5] R 14,4,1
[6] R 14,5,1
[7] R 14,7,1
[8] R 14,10,1
[9] LA 102,7
[10] LA 11,8
[11] LA 1,5
[12] LI 90,1
[13] LA 10,3
[14] CE 1,1,9
[15] CE 2,2,18
[16] CE 7,1,4
[17] RB 0,0,1
[18] RB 0,0,6
[19] Il s’agit d’une spiritualité qui se centre sur la personne même de Jésus, afin d’en acquérir une expérience intime et personnelle et de participer au renouvellement agissant de son Corps mystique, soit l’Église selon la théologie traditionnelle. Le moyen de cette expérience est de placer son ego propre en adoration devant la grandeur divine, en considérant l’état de soumission volontaire du Verbe incarné à la condition humaine. Le silence de l’oraison est favorisé devant des mystères tels que l’Incarnation et la Nativité – la dévotion à l’instar des Carmes espagnols devant l’Enfant-Jésus, modèle de charité silencieuse, est relancée – et surtout cette école préconise l’adoration devant le Saint-Sacrement, ou l’Eucharistie représentée par l’Hostie consacrée, c’est-à-dire l’expression et la réalisation de l’état de victime de l’Amour. (Wikipedia)
[20] LI 5,02
[21] De La Salle, John Baptist. Explanation of the Method of Interior Prayer Translated by Richard Arnandez FSC and Donald Mouton FSC. Introduction p. 8
[22] R 7,0,4
[23] EM 3,96
[24] EM 3,99
[25] EM 3,116
[26] EM 8, 212
[27] Voir note 21
[28] RC 2,1
[29] EM 3,99
[30] EM 8,210
[31] Rummery, Gerard. “Let Us Remember That We Are in the Holy Presence of God.” AXIS: Journal of Lasallian Higher Education 8, no. 3 (Institute for Lasallian Studies at Saint Mary’s University of Minnesota: 2017).
[32] Ibid. 77
[33] Le frère George Van Grieken, FSC, est un Frère des Écoles chrétiennes qui est actuellement directeur du centre de ressources lasalliennes – www. lasallianresources.org. Diplômé du Collège Saint Mary’s de Californie (BA, MA) et du Collège de Boston (PhD), il a travaillé comme professeur de classe et dans la formation lasallienne, le ministère des vocations et le leadership scolaire, y compris plus récemment deux ans en tant que président et chef de la direction de St. Joseph’s Institution International School à Singapour. Ses écrits et ses ateliers se concentrent sur la spiritualité lasallienne et la formation, notamment de leur application et leur intégration dans la société d’aujourd’hui et dans les contextes éducatifs.