Retour à la page du Vénérable Chatillon
Frère Adolphe comprend rapidement le poids de sa future responsabilité. Sa définition de tâche, il la trouve dans la Règle du Sous-Directeur de Noviciat qui vient d’être définie à l’assemblée générale de 1901, dans le chapitre XXXII. Son expérience antérieure de professeur au Petit-Noviciat lui sera un apport pertinent pour s’adapter à la nouvelle situation.
Après quatre ans de service comme sous-directeur, frère Adolphe Chatillon est porté à la direction du Noviciat avec la pleine confiance de ses supérieurs. Il est à propos ici d’entendre l’appréciation formulée par des frères qu’il a instruits à la vie religieuse au cours de ses onze années comme formateur.
- «C’était un vrai gentilhomme! il nous prêchait par sa tenue, son langage, sa bonhommie toute de simplicité. Il aimait à rire, jusqu’aux larmes parfois, quand il se mêlait à nos groupes de récréation. Il répandait une atmosphère de douce quiétude autour de lui». ( F. Dominique Beaudoin.)
- Je garde toujours du F. Adolphe (dit Théophanius-Léo) un souvenir réconfortant et, si j’ai rencontré depuis cette lointaine époque du Noviciat plusieurs religieux édifiants, aucun ne m’a autant marqué du rayonnement qui émane inévitablement des grands serviteurs de Dieu.» (Fr. Georges Milot)
- Pendant mon Noviciat j’ai eu une très bonne impression de lui. Je voyais en lui, la bonté, la douceur, la délicatesse pour tous ses novices.» (Fr. Émile Grenier )
- Il faisait le bien sans bruit, sans chercher approbation ou compliments. Pour moi, il y a un saint authentique en lui. 63 ans après – en cette année 1967- j’éprouve à son égard les mêmes sentiments.»
- Frère Adolphe se chargeait de nous enseigner à faire oraison. Que dire de ses actes d’amour de Dieu, de foi et de générosité. Nous étions autour de lui et nous buvions ses paroles enflammées qui, nous le savions, venaient de son cœur. Je vous assure que c’était un repas spirituel chaque matin. (F.. Hermas Constantin)
- «Dans les contacts avec lui, on sentait un homme profondément intérieur,» (F. Marcel Héon)
- «Ses conférences étaient méditées avant d’être données.. On le savait très uni à Dieu. Certaines de ses remarques communes ne venaient que d’un fin psychologue et à nous, jeunes, semblaient venir d’une inspiration,. tant elles frappaient juste.» (Fr. François Picard)
Pas une sinécure.
Assumer la charge de former les novices ce n’était pas une sinécure. À son époque, le lever se faisait à 4 heures et demie, dès 5h. on était en prière à la chapelle pour une heure. On enchaînait avec la Messe à 6h.
Pour le novice il n’y avait pas de temps mort. Les exercices se succédaient de demi-heure en demi-heure, tous orientés vers l’étude, la prière, la lecture. La prise de notes, la méditation. On arrivera au moment clou de la matinée, celui de la conférence quotidienne à 10h ½.
Le directeur avait à préparer soigneusement cette conférence pour chaque jour. Il devait aussi durant la semaine prévoir un entretien individuel avec chaque novice. De plus, il était présent sans faute à tous les exercices spirituels de la journée.
Il s’agit de développer chez la personne le besoin et la soif de Dieu. Le frère Adolphe s’est donné quelques principes directeur dans la formation des jeunes; en voici quelques-uns :
- «Il faut vivre le plus possible avec ceux que l’on veut atteindre;
- L’homme accepte difficilement une vérité qui lui vient accompagnée d’une humiliation.
- Rien ne dure de ce qui se fait sans la joie.
- Les hommes tiennent peu d’ordinaire à ce qu’ils affirment dans les conversations; un mot peut les faire changer pourvu qu’il soit dit avec calme.
- Le christianisme complet, c’est une union personnelle avec Jésus-Christ Notre Seigneur;
- On n’y arrivera pas sans une dévotion sans limite pour la Très sainte Vierge.
- L’entretien de la ferveur c’est ce travail constant semblable à celui de ces chauffeurs de grands usines S’arrêter de chauffer = perte monétaire [considérable].
- Aviver la foi, former à la piété vraie; éclairer, rendre délicate, sensible, la conscience, programme complet de la formation du jeune chrétien, du jeune religieux.
- Toute la perfection de la vie chrétienne est renfermée dans ces paroles: 1o- Si quelqu’un veut venir après moi= volonté de devenir un saint; 2o- qu’il renonce à soi-même= s’abstenir; 3o- qu’il porte sa croix= souffrir; 4e qu’il me suive= agir » (Bx Grignon de Montfort)
- Ne recherche en ton esprit qu’une chose; Dieu et sa gloire. N’aie en ton cœur qu’un amour: Dieu et sa volonté sainte !
Mon ouvrage est d’aider cet enfant, ce novice à se former lui-même. Je suis ici pour lui montrer d’abord comment le faire, et mon art est de l’amener à le faire de lui-même sans mon aide, aussitôt que possible. L’art d’un formateur est de se rendre inutile.»
* * *
Il confie à son frère Robert, en 1915, la perception qu’il a de son travail de formateur : «Sais-tu ce que c’est que d’essayer à donner la trempe à quarante ou cinquante jeunes gens ? Quelle responsabilité ! Il faudrait être saint à canoniser pour remplir dignement cette fonction. Hélas, mille obstacles imprévus se lèvent devant nous. Tout conspire à nous gâcher la main. Il en est d’un individu en formation à peu près comme cette machine qu’inventa dernièrement un de nos frères. Il fabriqua toutes les pièces lui-même, les ajusta; les parties marchaient bien séparément; il les accouple deux à deux, ça marche encore, y ajoute la troisième, ça n’allait plus. Il y avait quelque chose d’oublié. Ainsi de nos novices, chacun est une invention complexe, il n’y faut rien oublier. Ça marche tout de même un peu, partie par partie; si on s’amuse à ce jeu le tout sera peut-être manqué. Mais je parle comme si j’étais seul à la besogne. Le cher frère Visiteur me le rappelait dernièrement : « Considérez-vous comme un instrument inutile dans la main de Dieu ». Et voilà, pas plus que cela. Si encore je le croyais. » (Lettre de 1915)
En août 1917, la besogne s’est dédoublée : «… du matin au soir à peine, de ce temps surtout où l’on a 73 novices et postulants, il faut être à la merci de tout ce monde-là. Il le faut, au risque de compromettre l’œuvre tout entière et cela aux dépends de notre santé, de notre temps, de nos aises, de notre humeur, de nos études. Heureux si en ces temps d’intenses efforts l’esprit reste uni à Dieu et puise dans ce commerce intime de quoi récupérer ses forces et de prévenir une fatale sécheresse.
Voilà la retraite pour nous du 1er août au 7. Je te la recommande spécialement. Je la suis aussi bien que je le puis, j’en aurai une deuxième pour moi en septembre. Quel besoin j’en ai !»
(Le 25 avril 1920) La tâche garde toutes ses exigences : «Je crois qu’il faudrait, comme les Macchabées, jeter par-dessus bord toutes les demi-volontés, les demi-consciences, et former de ces noyaux d’hommes forts, de religieux déterminés; aimant réellement le bon Dieu et prêts pour son amour à souffrir jusqu’à la mort. C’est cette perspective de la persévérance longue et ennuyeuse qui décourage nos jeunes. Demande pour moi, cher Robert, au jour de ta fête et pendant le mois de Marie, les lumières dont j’ai un grand besoin. Les Supérieurs me laissent encore ici, j’en tremble parfois. Demande aussi que je n’y sois pas un jour de plus que la sainte Volonté de Dieu le veut. »
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Le ton de la lettre suivante, donne une bonne idée des directives qu’il pouvait transmettre à ses disciples : «Je relis votre lettre du 29 décembre avec la même joie que la première fois. Que je serais heureux si tous mes anciens novices m’assuraient comme vous le faites que leur vie intérieure est en marche ! Qu’il leur plaît d’être plus à même de se garder pour Jésus dans un lieu de retraite et de prière ! Continuez, bien cher Frère, à fréquenter votre céleste Ami. Peut-être expérimenterez-vous qu’il faut quand même souffrir et être méprisé, mais Il vous enseignera le pourquoi de ces rigueurs. La croix sera toujours le cachet des œuvres divines, l’Évangile ne cesse de le dire. Mais à le comprendre, notre vie entière ne suffit pas. Il faut donc que Dieu ajoute sa lumière et sa force. C’est ce que je vous souhaite de tout mon cœur et ce que je prie la Très Sainte Vierge et saint Joseph de vous accorder.» (Lettre de janvier 1921)
Nouvelle étape –
Et voici qu’en décembre 1923, le directeur du Noviciat verra sa vie changer :
«Maintenant venons-en aux choses sérieuses. Depuis le 16 novembre je ne suis plus maître des novices, j’ai laissé ce nid chaud, cette oasis si pleine de douceurs, ce champ aussi cependant, qui m’a demandé bien des travaux. Au moment où je m’y attendais le moins, j’ai reçu une obédience me nommant visiteur général de nos maisons de formation de l’Amérique du Nord. Et moi comme un enfant innocent j’ai accepté joyeusement, j’ai chanté encore au travers mes larmes; je n’en ai pas versé beaucoup. Toujours un peu naïf, j’ai dit : « C’est bon ! – All right » et voilà que je dois partir, s’il plaît à Dieu, le 15 janvier pour Toronto, New York, Ammendale, Glencoe (Missouri), Las Vegas (Nouveau Mexico), Martinez (Californie). […] Mais tu t’imagines, cher Robert, quel acte d’abandon il me faut faire pour me lancer dans ces espaces inconnus et étrangers pour moi. Tu me connais, ma timidité, mon insuffisance, mon peu d’ascendant, etc., etc. de sorte que tu es peut-être aussi surpris que moi qu’on m’ait poussé sur ces chemins. Eh bien, tant mieux ! De tout cela, le bon Dieu aura plus à faire et il faudra bien qu’il le fasse. Recommande-moi à ta chère Notre-Dame de la Guadeloupe et à Saint Joseph.» (Lettre à Robert Chatillon, décembre 1923)
On comprend quel rôle déterminant le Frère Adolphe a rempli dans sa fonction de Visiteur-général de l’Amérique du Nord. Les tournées annuelles constituent un itinéraire
qui commence à Québec (Limoilou) et enchaîne un chapelet de villes du Canada et des États-Unis. Comptant uniquement sur les déplacements par voie ferrée. Imaginez le confort d’un wagon des années 1920 ! Le séjour dans la maison visitée n’est généralement pas inférieur à une quinzaine de jours. Une tournée commencée en décembre se terminera la plupart du temps en juin. Sans compter que les visites en sol américain exigent la connaissance de la langue anglaise qui n’est pas sa langue maternelle. A cela s’ajoute la tâche d’évaluer aussi judicieusement que possible la qualité de la vie communautaire et régulière, et de proposer les moyens d’améliorer les situations en souffrance.
Heureusement le Frère Adolphe Chatillon crée spontanément un climat de confiance auprès des groupes qu’il contacte. Ainsi le Frère Abban-Philip, à la tête du District de New-York, communique sa satisfaction de la façon dont le Visiteur général s’acquitte de sa responsabilité : « Je suis heureux de vous dire que dans toutes mes relations avec le bon frère Adolphe Chatillon (dit Théophanius-Léo), je l’ai toujours trouvé à la hauteur de sa tâche de Visiteur général. Homme de Dieu toujours et partout, et bon conseiller en matière de formation de nos jeunes sujets à la vie religieuse.»
Justement en raison de son expérience de conseiller spirituel, le vénérable Adolphe était appelé à ajouter après sa tournée annuelle à assurer la présidence des retraites de 20 ou de 30 jour. Il s’en acquitta admirablement au cours des étés de 1924 à 1927.
Retraitants de 20 jours en 1925 :au centre, Père Bisson, jésuite. À sa droite, Frère Adolphe